Reginald Bootes || We're going to be okay.

« Reginald Bootes ! »

   Un enfant malingre se détache du groupe et chancèle jusqu’à l’estrade. L’exercice parait éprouvant, pas besoin d’être empathe pour ressentir le malaise du petit qui après s’être assis maladroitement sur le tabouret, se tient droit comme la justice en fixant un point invisible devant lui. Bientôt sa vision est obstruée par la large frange barrant son front, aplatit par le choixpeau que Minerva McGonagall vient de poser sur sa tête. Peu importe le verdict, lui ont promis ses parents, la maison ne fait pas l’homme, aura même glissé son père. Mais Reginald, du haut de ses onze ans, connaît l’hypocrisie de ce discours. Sa famille ne jure que par une maison, Serdaigle, et si ce soir il n’y est pas envoyé, la déception de toute cette dernière lui parviendra jusqu’au fin fond de l’Écosse ou le voilà emmuré.

   Ses petits poings se serrent alors que le choixpeau tarde à remettre son verdict. Pourquoi lui faut-il tant de temps ? Un Bootes, ça ne devrait pas faire débat, à peine aurait-il dû effleurer sa tête que la voix tempétueuse du vieil accessoire rapiécé aurait dû l’envoyer chez les bleu et bronze. Mais encore une fois Reginald sait, il sait combien la question fait débat et à bien conscience du manque de qualités dont il est victime pour être envoyé sans protestations chez les aigles. Seulement il espère avoir les faveurs du choixpeau et il souhaite que ce dernier ait l’indulgence d’annoncer la conclusion à ce long débat silencieux dans les plus brefs délais.

   Et puis finalement… S’il n’est envoyé à Serdaigle ce soir, que pourrait il advenir ? Et si se détourner de la tradition s’avérait être une chance plutôt qu’une malédiction ? Un Bootes sous un autre emblème, ce ne serait pas banal, du jamais vu à sa connaissance. Certes cela pourrait attirer l’attention, mais détourner aussi celle de parents un brin abusifs à la recherche toujours plus poussée de l’ordre et de l’excellence. Ce serait un véritable acte de rébellion, se défaire du carcan familial sans en être tout à fait le seul investigateur. Un sabotage intelligent.

   « SERDAIGLE ! »

   Il pousse ici un soupir de soulagement. Ces pensées bataillardes avaient presque fini par l'effrayer.

   

   Jamais, ô grand jamais se détourner du grand chemin tout tracé pour lui. La simple idée de le faire lui colle la nausée et il se sent alors plus traitre que Sirius Black. Imaginer une seule seconde décevoir sa famille, aller à l’encontre du grand ordre établi depuis des générations par les Bootes il n’en est et n’en sera jamais capable et qu’importe s’il doute d’avoir tout à fait envie de respecter leurs attentes, il n’a tout simplement pas le droit de penser autrement. Alors Poudlard… Poudlard ce devait être sept années d’insouciance ou, loin de ses parents, il pourrait vivre sans se formaliser de sa tenue ou se préoccuper de leurs yeux sévères jugeant ses faits et gestes. Reginald les devine parfois tapie quelque part dans son esprit, comme un rappel à l’ordre lorsqu’il va trop loin, mais il a su cinq années durant s’épanouir en chassant son nom et ce qu’il implique. Il a trouvé des amis, les meilleurs, sa force et son courage, les seuls devant lesquels il peut se permettre d’être lui-même. Ou du moins ce qu’il pense être.

   Cinq années à vivre dans l’ombre effrayante et rassurante de Harry Potter. Comment espérer surpasser les légendes ? Du coin de l’œil on suit leurs aventures, et on mène sa petite vie si tranquille en se gardant bien d’avoir un rôle dans l’Histoire. L’armée de Dumbledore ? Non merci. Bien que profondément marqué par la mort de Cedric Diggory - ce soir là nul doute qu’une partie de leur innocence eût péri - Reginald se garde bien de prendre position. Ses parents le lui ont formellement interdit, il se doit de faire profil bas s’il veut éviter les ennuis. Éviter les ennuies, ça, il est devenu maître en la matière, sans nul doute que la prophétie d’Ollivander, lui promettant quelques talents cachés en lui remettant sa baguette en bois de Melèze à onze ans, ne voulait par là vanter que son incroyable capacité à danser sous la pluie sans jamais se faire toucher par les gouttes. Un couard, un lâche, appelez le comme vous voulez lui se convaincra qu’il est juste sage sans jamais vraiment y croire par ailleurs.

   Mais voilà que ces années d’insouciance, on les leur ravi. Voldemort prend le contrôle de l’école, Reginald Bootes s’obstine à faire profil bas. Il respecte l’ordre établi, à l’intelligence de n’avancer aucun propos qui le ferait passer pour un résistant ou un partisan et reste froidement en dehors des conflits, n’ayant pour seule préoccupation que de sauver son quotidien et celui de ses proches. Poursuivre sa routine en ignorant les mesures toujours plus draconiennes de l’administration, fermer les yeux face à l’horreur, prétendre pouvoir survivre à l’ambiance nauséabonde de son cher et tendre Poudlard, ses vieux murs qui avaient couvert jadis cinq années de bonheur.

   Car cette situation ne peut qu’être temporaire, n’est-ce pas ? Bientôt on se battra, d’aucuns s’insurgerons, Voldemort ne peut garder main mise sur l’école et sur l’intégralité du monde magique. Alors Reginald rêve aux héros qui les sortiront de ce calvaire, sans jamais penser une seconde à en faire partie.